Après un mois dans le sud de l’Inde, j’avais presque oublié à quel point Mumbai était hétéroclite et confrontait les extrêmes ; les kilomètres de bidonvilles le long des voies ferrées et les hôtels de luxe, les mendiants et les bourgeois, les dévots et les dévergondés, … les contradictions de tout grand centre urbain peut-être.
À ma première arrivée il y a un mois, la ville ne m’apparaissait pas à la hauteur des attentes que j’avais du “poumon économique” d’un pays en développement de plus d’un milliard d’âmes. Pour mon second passage, avec un regard qui s’habitue doucement à l’Inde, je réalise à quel point la ville est développée comparée à l’arrière pays ; des taxis qui rendent la monnaie à la roupie près, des trottoirs ici et là, des filles rondes en t-shirt et aux cheveux courts, pas un homme en doti (l’habit traditionnel), toutes les chaînes à la télé sont nettes, pas de coupure de courant, … Et j’ai vite repris le rythme urbain à aller butiner dans chaque quartier.
À mon retour de Kochi, j’ai filé me poser chez Trishla, une couchsurfeuse qui habite le quartier bourgeois de Bandra West. Les jours suivants, j’ai navigué entre Navi Mumbai – “New Bombay” – Colaba, le centre historique, et Dockyard, le port militaire et commercial. Comme dans toute ville, chaque quartier a ses particularités, ses aficionados et ses détracteurs. Trishla, économiste dans les assurances, ne jure que par Bandra, suffisamment éloigné du centre pour être calme et reposant, suffisamment huppé pour rassembler une partie de la vie nocturne à deux pas de chez elle. Fayaz, ingénieur marin sur des navires commerciaux, est heureux à Dockyard, baigné entre ses portes conténaires immenses, ses minarets, son mini jardin botanique et ses kebabs. Bhagyashree , chargée des placements de stagiaires à l’AIESEC, vit à 200 à l’heure dans les nouveaux quartiers de Bombay, de l’autre côté de la crique de Thane, où les rues, les malls et les habitants sont tous plus larges.
Ces millions de visages croisés dans les transports, dans les rues et les restaurants, sont autant de destins qui se côtoient sans jamais se croiser. Depuis qu’elle a rendu visite à son frère parti vivre à Singapour, Trishla ne rêve que de partir vivre à l’étranger. Durant ce voyage, elle s’était rendue compte à quel point les pays limitrophes pouvaient offrir une qualité de vie supérieure à salaire/loyer/prix de la nourriture égal.
Pour elle, il est clair que les gouvernements de ces autres pays prennent davantage soins de leurs concitoyens, les routes sont entretenues, les hôpitaux rénovés, les taxes et les impôts utilisés à bon escient. Alors elle attend, met des sous de côtés, reprend la gym pour perdre quelques kilos et se sentir mieux, et se renseigne doucement pour trouver des opportunités ailleurs, là où l’herbe est plus verte.
Quant à Fayaz, avec Omi et Sagar, ils m’emmènent dans les taudis poisseux de Mumbai, dont le seul avantage à leurs yeux est d’offrir la clim. Dans ce capharnaüm salé de transpiration, brassés par les macho qui matent les rares filles, ils m’expliquent les règles du criquet, leurs clubs favoris et me demandent quelles équipes de foot je soutiens. Inutile de vous dire à quel point je ne me sens pas dans mon élément…
Au cours de leurs escales depuis leurs navires commerciaux, Fayaz et ses acolytes sont allés en Asie du Sud Est tout autant qu’en Europe. Certaines de leur remarques me froissent, comme “La bouffe française, c’est dégueulasse, non?” ou “À Paris, à 20h, tout est fermé… C’est mort.” Je pensais ces réflexions réservées à celles et ceux que je rencontre qui n’ont pas encore eu l’occasion de sortir du pays ou de leur état.
Si ces phrases me blessent, c’est moins pas amour de la patrie ou fierté nationale, que par le fait qu’ils n’ont pas fait l’effort de sortir de leur routine, de regarder ou s’interroger sur les différences. Dans les faits, les ressortissants des pays européens restent bien plus aisés que ceux d’Inde, mais Fayaz et ses amis se voient en maîtres du monde auto-satisfaits et personne n’a rien à leur apprendre.
Par chance, ce n’était pas la posture de Bhagyashree qui du haut de ses 21 ans tentait de rencontrer tout étranger de passage et posait le maximum de questions. À travers ses yeux, Navi Mumbai m’est apparu curieux, dynamique et mordant l’avenir avec des dents blanchies artificiellement. Elle me raconte qu’elle aimerait être indépendante de son père, pour pouvoir voyager sans avoir à rendre de compte, ou qu’elle essaie d’expliquer à ses parents le concept de “petit copain”, différent de celui de “mari”. Elle fonce à toute berzingue dans la nuit chaude de la crique de Thane et je me cramponne au scooter avec un sourire crispé.
À chaque instant, un trou dans la chaussée, un bus, une voiture, un scooter, un passant ou un chien pourraient décider de notre sort. Mais rien n’y fait. Alors je me replonge dans la chevelure de la jeunesse.
Tout mon périple en Inde est disponible ici : http://itun.es/i6Dz6MW
Une recommandation de Bollywood sur cette ville rocambolesque : Mumbai Diaries
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Crédit photos : Marc Chataigner